Supplément : A propos de l'attentat de Nice

Publié le par Julien Métais

1) Marre de ces hommes désorientés qui foncent sur des foules joyeuses pour se sentir enfin exister, qui pressent le monde de les regarder accomplir leurs actes abominables, qui profanent le sanctuaire de la beauté et infligent à l’invisible des blessures inguérissables.

2) La tête de cet homme devait être bien vide pour concevoir et mettre à exécution une telle idée et espérer en tirer quelque récompense.

3) Il aura suffi d’un fou fonçant sur des enfants les yeux émerveillés par la naissance de constellations fugitives dans le ciel niçois pour semer le chaos et la mort sur les routes du monde entier.

4) Ce soir-là même la mer s’est retirée pour ne pas assister plus longtemps au spectacle affli-geant du naufrage de notre humanité.

5) Par une chaude soirée d’été, alors que la foule s’est rassemblée sur la promenade des Anglais pour contempler dans le ciel les constellations multicolores lancées depuis la plage, un camion fou surgit et fonce droit sur elle. Il ne s’arrêtera que quand l’homme à son bord aura été neutralisé. Derrière lui un sol jonché de membres palpitants qui supplient les survivants de ne pas oublier la grandeur de ce qui reste à aimer.

6) Jamais un camion n’abolira l’espérance.

7) La vue d’un camion terrifie ma fille, la vue d’une route m’anéantit.

8) Ce matin j’ai l’âme toute cabossée. Quelque chose en moi s’est fêlé. L’insouciance est perdue à jamais.

9) Rouge de honte la mer s’est retirée dans ses profondeurs pour se laver du spectacle insoute-nable qu’un homme assoiffé de sang lui a infligé.

10) Le ciel niçois s’est brusquement assombri. De la profondeur de la nuit a surgi une masse compacte blanche qui a débouché sur la promenade des Anglais et a écrasé sur son passage la foule rassemblée. Aux commandes de cet engin de mort un homme en perdition pour qui l’absurdité de la vie justifie tous les crimes.

11) On ne s’habitue pas à la folie des hommes, on vit avec jusqu’à l’agonie du souffle.

12) L’homme est-il à ce point stupide qu’il doive faire couler le sang pour jouir de la félicité des cimes ? Il n’y a pas de bonheur possible pour celui qui se nourrit et se fortifie du sang de ses frères.

13) Les survivants n’ont plus que leurs pleurs pour accompagner les morts sur la rive inacces-sible du souvenir.

14) Il y a chez certains hommes une haine de la vie, une rage de destruction si grande que la seule façon de s’en protéger est de les enfermer dans une étroite cellule où seuls face à eux-mêmes ils n’ont d’autre champ d'opération que les limites de leur propre corps.

15) On nous dit que l’homme qui a agi était conscient et lucide au moment des faits, on nous dit qu’il avait préparé son coup et que sa résolution d’écraser le plus grand nombre de gens était inébranlable, on nous dit encore beaucoup d’autres choses – mais qui dira le trou béant laissé dans l’âme aux parents qui ne reverront plus leurs enfants, aux enfants qui ne reverront plus leurs parents, à tous ces malheureux plongés dans un abîme de souffrance dont il faudra plusieurs générations avant que leurs descendants ne relèvent la tête et reprennent sereinement le chemin de la vie.

16) Derrière l’idéologie creuse que revendiquent les terroristes il y a le désir sourd et aveugle d’assassiner le possible pour empêcher sa mutation en figure de gloire du monde qui vient. Eradiquer le possible de la surface de la terre, telle est à peu près l’unique occupation dont ces brutes se montrent capables. La raison en est simple, le possible est dans l’être ce qui échappe à toute forme de contrôle et d’assujettissement. Source suprême de toute créativité il définit le point d’éclat incorruptible de la liberté.

17) La promenade des Anglais est devenu le boulevard de la mort. Plus possible de s’y promener sans sentir sur sa nuque le souffle chaud de la bête immonde qui va tout emporter.

18) Dans la Baie des Anges les Anges saignent de n’avoir su trompeter à temps pour alerter la foule radieuse de ce qui se tramait.

19) Ce qui s’est passé cette nuit à Nice la méditerranée s’en souviendra longtemps, longtemps elle portera, dans sa profondeur bleutée, le souvenir rougeoyant de la mort qui a sévi sur son rivage.

20) La folie meurtrière est l’expression achevée de l’impuissance de l’homme à faire épanouir l’amour par-dessus ses frustrations et de ses rancœurs accumulées. Elle est le moyen infaillible de se séparer à bon compte de cette impuissance en la rejetant sur les autres.

21) A Nice ce matin le soleil s’est levé sur une baie ensanglantée. La nuit a accouché dans son sommeil d’une vision d’épouvante où des hommes, des femmes et des enfants, les membres déchiquetés, s’entretenaient sur l’aptitude des générations futures à triompher enfin de la violence qui pousse anarchiquement entre les pavés disjoints de la mémoire.

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