Le Cœur

Publié le par Julien Métais

Le cœur, si creux soit-il, déborde de joie devant la grandeur de son énigme.

Cette pulsation secrète qui lance l’homme dans la carrière du visible, quand donc se repose-t-elle de son battement ? Dans le travail de l’esprit, car alors le cœur change de physionomie, de muscle creux qu’il était, il se tend et devient trait de lumière posé sur l’abîme du visible. Quelle est grande alors l’allégresse de l’homme pénétré par ce feu doux et souverain qui lui offre le monde et lui donne à sentir un instant qu’il en est l’expression achevée !

Le cœur est une pompe qui expulse à chaque contraction l’encre noire du songe qui nous dévore.

Le cœur se cache pour ne pas effrayer ceux qui seraient tentés de l’émouvoir.

Le cœur est le siège du possible. On n’y séjourne pas, on y passe à toute vitesse, transfiguré par l’éclair de beauté qui tombe à ses pieds.

C’est une grande infirmité que de ne pas avoir assez de cœur pour laisser à l’esprit toute latitude d’expression.

Le cœur bat l’homme pour lui apprendre à marcher droit sur les cimes déchirées de son histoire.

Le battement du cœur est le mécanisme secret qui alerte l’homme sur la nécessité impérieuse de se mettre au monde une nouvelle fois avant d’aller se fracasser la tête contre la pierre du tombeau.

L’esprit est peu de chose sans le cœur qui le féconde et ouvre en lui le champ infini du possible.

Les grandes pensées viennent du cœur qui est plus grand que toute pensée.

Dans les grandes pensées on entend battre le coeur sous la peau translucide des mots.

La pensée vient au monde éclatée parce qu’elle ne peut soutenir la force de l’amour qu’en se fragmentant dans les mots à travers lesquels rayonne comme l’accomplissement d’un songe la figure épanouie de son humanité.

Le penseur doit écrire en état d’incandescence absolu ou alors il ne peut espérer toucher son lecteur. Cet état d’incandescence est l’autre nom de ce que l’on nomme amour.

Bien sûr que le cœur de l’homme est creux et plein d’ordure mais sous cet amoncellement quel trésor pour celui qui désire sincèrement éprouver son désir d’absolu !

Le cœur est de tous les organes celui qui sent avec une acuité prodigieuse combien la grandeur du possible enveloppe le néant et en parachève d’avance toutes les figures.

Le cœur fournit à l’esprit la matière indispensable à la poursuite de sa métamorphose. C’est lui qui frappe à la porte quand tout le monde est à table et qui demande à ses hôtes une place où l’air de rien il allumera en chacun d’eux une petite flamme, laquelle s’enflera et atteindra bientôt une hauteur étonnante – expression merveilleuse du pouvoir de création de l’esprit quand il se laisse féconder par le plus intime et le plus sacré.

Le cœur est un flambeau qui embrase la nuit du verbe et délivre toute chose de la tyrannie du signe.

Le cœur est une petite bête disgracieuse qui du fond de sa retraite raconte à l’homme l’histoire que, bien souvent, il n’a pas le courage de vivre.

Le cœur bat en vain la porte des cieux. Personne pour lui ouvrir. C’est son propre écho qui lui revient comme augmenté par son ingouvernable solitude.

La grandeur de l’homme est cette boule de feu qui le jette hors de chez lui et le condamne à errer dans un long aveuglement sur le chemin effacé du possible. Dans cette errance la pensée se purifie et devient lumière.

Le cœur inquiet conjure notre époque en proie à l’ivresse de la dispersion de ne pas laisser se perdre son chant majestueux.

Le cœur dans sa retraite vermeille ne se lasse pas de chuchoter à l’oreille des hommes des paroles de lumière.

Le cœur, organe suprêmement actif, a besoin de toutes les forces de l’esprit pour exploser dans la lumière.

L’extrême vanité des hommes les empêche de percevoir le trésor qu’ils portent en eux et beaucoup mourront sans avoir jamais soupçonnés qu’ils étaient si prêts d’être heureux.

Le naufrage du cœur que notre époque met en scène si complaisamment devrait nous alerter, nous les gardiens vigilants du possible, sur la secrète inclination des hommes au malheur. Car à la vérité l’homme ne désire pas tant être heureux que de vivre dans l’illusion d’un bonheur possible, c'est pourquoi dès que celui-ci se présente à lui il le prend par les cheveux et le chasse de sa maison. Comment pourrait-il jouir d’un tel bonheur alors que son cœur appesanti s’abîme à chaque battement dans les profondeurs de la terre, là où il faut ramper pour survivre ? Rampe, pauvre homme, dans le vide que tu t’es préparé et connait qu’il n’y a pas de bonheur pour toi qui a préféré à la beauté la rage féroce d’être soi.

Ecrire pour percevoir la pulsation rythmique fondamentale qui ordonne toute chose à la courbe infiniment éloquente de son geste.

Le cœur réclame la possibilité de s’exprimer hors du cercle convulsif du langage. Il ne se nourrit que de paroles ineffables.

Ils sont arrivés à la nuit tombée, ils ont saccagé sa maison, ils ont fouillé dans les moindres recoins, ils ont éventré son lit et son fauteuil, déchiré son tapis, tiré sur les rideaux, brisé les vitres, abîmé le calme de cet espace clos où le silence présidait en maître de cérémonie. A présent ce lieu ressemble à un champ de ruines et l’équilibre secret des lignes qui donnait à chaque pièce et à chaque objet qui la compose son ordre et son charme unique est perdu à jamais. Plus jamais le cœur ne vivra en paix au foyer du possible.

Quiconque maltraite son cœur mourra dans la plus complète solitude.

Dans le cœur de l’homme un champ d’ombre s’étend plus loin que la lumière la plus haute. C’est la noire démence qui a pris possession de l’être.

Le cœur saigne mais je ne sais pas de nourriture plus substantielle que ce sang qui raffermit la foi et dissipe la peur.

Dans la forge du cœur le souffle se fait force de création infinie.

Il n’y a pas de plus grand malheur que d’avoir dans la poitrine un cœur qui palpite et de ne savoir qu’en faire.

Saisir le démon caché derrière la porte du cœur et le rejeter en pleine lumière, là où soumis à un violent aveuglement il se décompose aussitôt, voilà ce que l’homme doit accomplir s’il veut vivre en paix avec ses ombres.

La violence du cœur est proverbiale. A chaque battement, c’est un coup de poing en pleine figure qui est donné au démon qui se relève.

Le cœur n’en finit pas de chanter la joie d’être au monde tandis que pleure dans la cuisine l’amère raison.

Le cœur est ce morceau d’éternité fiché en l’homme pour qu’il n’oublie pas la grandeur de sa vocation : témoigner par toute la terre de la beauté du monde en lui et hors de lui, rassembler cette beauté dans la fulgurance de l’esprit afin de réjouir la félicité des cimes.

Le cœur est obéissance à la loi d’amour qui le livre au monde. Cette obéissance est le signe sacré de sa liberté souveraine. Car l’amour rend libre et la liberté de l’amour est d’œuvrer à la réconciliation du monde dont l’homme porte en lui les figures antagonistes.

Inlassablement le cœur secoue tout l’édifice humain mais cette secousse a ceci d’admirable que, loin de troubler son ordre intérieur et le système d’échanges subtils qui le composent, elle maintient son équilibre et lui insuffle la force de se perpétuer.

On ne connaît bien le cœur de l’homme que quand on a éprouvé jusqu’à la déchirure son caractère impénétrable.

Le cœur, si tendre et si onctueux sous son martèlement incessant, ne laisse pas de prendre sur soi et de consoler la tristesse du monde.

Dans le creux du cœur l’imperfection se fait prophétie.

Le rôle principal de l’éducation est de prévenir la naissance en l’homme de cette bête noire scandaleuse qui entend soumettre le monde à sa fureur insatiable. Il est de développer en chacun, dans des proportions toujours plus grandes, le germe de vie du possible afin d’accomplir l’humanité de l’homme qui ne doit pas rester lettre morte.

Mourir c’est pousser dans un effort terrible la porte du cœur. Quiconque franchit son seuil est bu par la lumière.

Ce cœur que vous avez criblé de balles, hommes noirs de la démence, chantera pour vous jusqu’à la consommation des siècles.

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