La Solitude

Publié le par Julien Métais

Constamment sollicité, happé par les nouvelles technologies qui le pressent d’épouser leur rythme effréné, accablé par un monde du travail impitoyable pouvant à tout moment se dérober sous ses pieds, épuisé par la nécessité d’atteindre des objectifs toujours plus élevés, d’être toujours plus performant tant sur le plan professionnel, social que familial, l’homme entretient une relation complexe avec la solitude. D’un côté, il voit en elle un moyen de s’arracher à la fièvre du quotidien, de sortir du système de contraintes où la société l’enferme, et en ce sens, il aspire à une profonde solitude, une retraite où il puisse déposer ce fardeau qu’il est pour lui-même et se ressourcer. D’un autre côté, le prolongement de cet état de solitude l’inquiète et éveille en lui un sentiment de culpabilité diffus, l’impression de déchoir encore plus que quand il travaillait, à présent qu’il ne fait rien et n’a plus aucune utilité. Surtout, il sent que derrière le grand vide qui s’étend doucement en lui, derrière le sentiment de bien-être passager que lui procure cette dépossession de lui-même, se présente de façon insidieuse le visage mutilé des rêves qu’il n’a su accomplir et derrière ce visage la figure morte de son possible dont il n’a su prendre soin et se montrer digne. Cette perception très intime, source d’effroi, conduit l’homme à s’arracher à la violence de la solitude pour se jeter de nouveau dans le grand désert du cœur. Ainsi l’homme est-il partagé, incapable de se satisfaire de son insertion dans le moule de la société et de trouver ailleurs une juste compensation à son labeur et aux tracas qu’il occasionne, il ne réussit pas à vivre en paix. C’est qu’avec le sens du possible il a perdu sa dignité et le sentiment de la grandeur qu’elle enveloppe et le désir de favoriser son expression, alors même qu’elle est en lui ce qu’il y a de plus vivant et de sacré. Renouer et approfondir sa relation avec cette force de vie plus intime à l’homme que le langage, voilà peut-être un moyen de conjurer la menace de la solitude et de voir en elle le creuset de son appartenance à la vie plus haute du possible.

Les hommes fuient la solitude car ils redoutent de se perdre dans la nudité du monde. Pourtant cette nudité est le joyau qui rayonne en eux comme un feu doux et souverain, seul capable de les réconcilier avec tout ce qui n’est pas eux.

La solitude est le repaire merveilleusement divers de notre métamorphose.

On ne sort du cercle de la solitude que pour entrer dans le cercle plus vaste de l’oubli.

Ce n’est pas la solitude qui est insupportable mais le besoin absurde de croire que sans elle la vie serait meilleure.

Il est important de vivre en paix avec sa solitude pour pouvoir témoigner de la grandeur du désir qui supporte le monde.

L’homme seul se sent incompris. Et plus il se sent incompris plus sa solitude éclate partout dans la création comme une chance d’expression fabuleuse.

L’invention de la solitude est ce que la nature a trouvé de plus habile pour obliger l’homme à ne pas se satisfaire de la compagnie de ses semblables et à aller puiser au-delà du monde des apparences la substance translucide qui renouvelle toute chose.

Sans le soutien et les encouragements de la solitude il y a bien longtemps que l’homme se serait effondré sur le chemin de la vie.

Le malheur de l’homme provient de son incapacité à se contenter de sa nudité, de son besoin intolérable de charger cette nudité, de la maltraiter et de la déformer jusqu’à en faire une chose grossière où seule subsiste de son humanité une image mutilée.

Il faut prendre soin de sa nudité pour voir dans la solitude un espace intérieur où l’homme apprend à triompher de sa propre pesanteur.

L’homme seul ressent une immense tristesse. Qui viendra le distraire de sa profonde mélancolie qui le jette chaque jour sur le rivage désolé de son agonie ? Qui viendra panser ses blessures et ses plaies ? Qui viendra écouter les accents déchirants de son infortune ? Il vit dans un sentiment d’attente perpétuelle. Pourtant la solitude peut être féconde si au lieu d’enfermer l’homme en lui-même elle l’ouvre à la perception plus haute des confins. Cela suppose le concours actif de toutes les forces de l’esprit en vue de tirer de soi ce qu’on ignorait contenir et qui attendait que l’homme sorte de sa retraite pour trouver un moyen d’expression à sa mesure. C’est ce que font les grands créateurs, hommes supra-lucides, qui savent passer dans le possible jusqu’à devenir pure ligne de feu dévoilant aux hommes ébahis la majesté des confins.

La solitude ne se lasse pas de répéter aux hommes qu’elle n’est pas un coupe-gorge mais le repaire sacré où l’homme accède à son chant le plus haut.

La réputation faite à la solitude est injuste. Car, en effet, comment l’homme pourrait-il s’enrichir de son néant comme d’une chose rare et précieuse, et faire de cet enrichissement le signe éclatant de son appartenance à l’ordre supérieur du cœur s’il n’éprouvait dans sa chair la profondeur de la blessure d’où il est issu ? Il faut vivre la solitude jusqu’au bout pour apercevoir derrière son abîme la grandeur du monde dont elle nous fait les heureux héritiers.

L’impossibilité de la solitude nous enjoint de cheminer à sa rencontre jusqu’à la brisure du souffle.

La solitude est l’expérience métaphysique de la double impossibilité de réduire le monde à autre chose que son néant et d’élever le néant plus haut que le monde. En somme la solitude se fonde sur la reconnaissance tragique de la nécessité d’exister dans les limites du néant qui ignore toute limite.

La solitude enrichit l’homme à mesure qu’elle le dépouille de ses propriétés.

Ils ont assassiné la solitude et dilapidé l’héritage qui leur était promis.

Faire monter en soi la lumière du monde, voilà en quoi consiste la solitude véritable.

La solitude arrache les masques et somme l’homme de montrer son vrai visage. Mais qu’elle n’est pas la surprise de celui-ci quand il s’aperçoit qu’il ne figure nulle part sous la diversité foisonnante de ces masques, qu’il est derrière le masque ce qui manque à toute visibilité !

Les exigences terrifiantes de la solitude ne doivent pas décourager l’homme mais le réconcilier avec l’infini qu’il porte en lui.

Chacun est seul sur le chemin de la vie à devoir se mettre au monde une nouvelle fois.

Le sentiment de solitude n’est jamais aussi intense qu’au milieu de ses semblables. C’est que l’homme ressent alors l’absurdité de sa condition, il perçoit tout ce qu’a de factice le jeu des relations humaines, il entrevoit derrière chaque geste, chaque expression, chaque mimique, chaque exclamation, chaque soupir le noir néant qui rôde à l’affût, prêt à dérober d’un coup d’épaule le grand sac des illusions humaines.

Au royaume de la solitude, le roi est le serviteur du monde qui vient.

Au fond de la solitude il n’y a rien à voir, il y a tout à aimer.

Rien ne trouble plus la jouissance de la solitude que le mépris de la mort.

La solitude accuse les hommes de ne pas savoir vivre hors de propos.

La solitude n’a pas de figure. Elle ne ressemble à rien puisqu’elle porte en elle comme son fruit le plus haut le noir néant. Voilà pourquoi elle a si mauvaise réputation. On ne consent à s’y établir que pour une courte période et sous la contrainte des exigences insatisfaites de la réalité. C’est dire que le temps qu’on lui accorde n’est pas réellement voulu, raison pourquoi le bénéfice que l’on en tire demeure limité. Il faut être prêt à descendre jusqu’au fond de sa solitude, à y éprouver la grandeur de son néant pour mesurer la richesse infinie dont elle nous fait les hôtes.

L’ennui est le fin limier du possible. Il ouvre toutes les portes de la solitude.

C’est n’être point tout à fait homme que de vivre loin du récif de la solitude. C’est abandonner le monde au seuil du visible.

Malheur à l’homme qui prétend vivre sans le secours de la solitude. Il erre comme un vagabond dans le tumulte des paroles.

La solitude qui livre l’homme à l’inachevé fait éclater dans le mot l’ancienne sujétion de l’homme au langage. Elle lui rend la légèreté de la lumière tourbillonnant dans l’invisible.

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