La Bêtise

Publié le par Julien Métais

La bêtise est toujours en avance sur son époque. C'est même là son titre de gloire le plus éclatant.

La bêtise enchante le monde en posant devant les yeux des hommes l’image merveilleuse de la félicité.

Je compte bien sur la bêtise pour m’enseigner l’art difficile de survivre à l’atroce banalité du mal.

La bêtise est pleine de failles. Quiconque n’a pas vécu longtemps dans l’une d’elles ignore l’impuissance de la raison à se délivrer de la tutelle affectueuse de sa mère.

Le jour où l’homme reconnaîtra son immense dette envers la bêtise il pourra vivre heureux hors du cercle étroit des choses concevables.

Le grelot de la bêtise retentit d’une extrémité à l’autre du monde avec la même force de conviction.

Il faut être sacrément bête pour ne pas s’apercevoir de l’extraordinaire fécondité de la bêtise qui transforme le monde en une sphère parfaitement harmonieuse.

Seule la bêtise est vraiment incorruptible.

La bêtise est drôlement charpentée, avec ses disproportions terrifiantes, son allure bancale, ses gestes maladroits et heurtés. Pourtant qu’on en s’y trompe pas, sous cette apparence fruste, sous cet air pataud et ce parler nigaud se cachent des trésors de trouvaille et d’inventivité. C’est que la bêtise se sait limitée et ce savoir la préserve de s’illusionner sur ce qu’elle pourrait être en même temps qu’il lui assure une assise et une assurance qui la prédisposent aux entreprises les plus audacieuses.

L’immense créativité de la bêtise est un des mystères les plus pénétrants de l’espèce humaine.

La bêtise n’est pas le point de départ de la raison humaine, elle en est l’horizon indépassable.

Dans le monde de la pensée la bêtise règne en maîtresse incontestée, et il ne viendrait à l’idée de personne de remettre en cause cette prérogative tant il est vrai que même nos penseurs les plus hardis se contentent de suivre ses indications et d’en recueillir les immenses bienfaits.

La bêtise ne questionne pas, elle est la question envoyée par le possible à la puissance de déflagration de l’intelligence.

Secouez-là, soulevez-là de terre, brandissez-là vers le ciel, mettez-lui la tête en bas et les pieds en l’air, faites de grands moulinés avec vos bras puis d’un geste brusque et précis lancez-là le plus haut et le plus loin que vous pouvez. Vous serez étonnés de constater que toujours la bêtise retombe sur ses pieds, jamais elle ne perd son sens aigu de l’orientation, rien ni personne ne peut entraver son retour à l’équilibre, subtil balancement qui lui rend le monde avec lequel à dire vrai elle n’a cessé de vivre en étroite relation. C’est simplement notre propre point de vue qui s’est volatilisé dans le moment où nous croyions avoir raison de la bêtise, ce qui explique à quel point nous nous sentons seuls et démunis, désemparés devant cette bête fantastique qui refuse les caresses au moyen desquelles nous essayons de l’amadouer et de la soumettre à notre volonté.

Rien n’intéresse tant la bêtise que l’obstination drue avec laquelle les hommes se mettent en peine de creuser partout autour d’eux de profondes tranchées pour y semer la substance des jours prochains. Ils ne savent pas vivre dans le présent, ils ne savent pas ce que signifie d’être à ce point enraciné dans la terre que toute idée de mouvement en devient inconcevable et mortifère.

Il ne faut pas exagérer la puissance de pénétration de la bêtise qui ne connaît le monde que par ouï-dire.

Les hommes profonds sont ceux en qui les exclamations de la bêtise résonnent le plus longtemps.

La bêtise enseigne à vivre sans le secours accablant de la vérité.

La supériorité de la bêtise sur la pensée est de ne pas connaître de période de stérilité. Toujours alerte la bêtise n’en finit pas de féconder le monde et de se féconder elle-même hors du monde.

La bêtise qui conduit les hommes à vivre de l’air du temps les condamne à l’asphyxie.

La grandeur de la bêtise est d’enjamber les précipices qu’elle porte en elle sans y prêter attention. Elle chemine droit devant elle les yeux fixés sur l’horizon avec pour seul souci de ne pas contrarier son désir d’être là.

Il y a une éloquence de la bêtise que l’on préfère trop souvent ignorer par peur d’être accusé de bonne entente avec elle. Pourtant la compagnie de la bêtise présente bien des avantages et parmi ceux-ci celui non négligeable de ne plus vivre dans la peur du qu’en-dira-t-on.

L’obstination de la bêtise ébranle les fermes résolutions du sage qui se lève et part en criant.

Jamais la bêtise ne se rétracte, elle ne sort de scène que pour mourir.

L’une des plus grandes gloires de la bêtise est d’avoir vécu tout son soûl en ce siècle éventé et en proie à de sourdes convulsions.

Le profil de la bêtise est plein de ressemblances compromettantes.

La bêtise est insensible aux arguments qu’on lui oppose. Elle n’écoute que le battement sourd et régulier du cœur qui retentit en elle comme une injonction à ne pas s’écarter du chemin qui porte ses pas.

La bêtise chemine hors de portée du doute. Elle ignore ce que sait que d’être tourmenté par la rage de ne pas savoir.

L’âpre simplicité de la bêtise la voue à vivre seule et sans ami.

La bêtise vit tous les événements du monde avec une tranquillité déconcertante mais elle ne sait pas ce que vivre veut dire.

La bêtise est la gardienne des illusions perdues.

Quiconque s’en prend à la bêtise est inévitablement conduit à démonter le complexe assemblage de pièces qui dans leur unité indivisible composent notre humanité.

La bêtise est si profondément enracinée dans la terre qu’elle a cessé d’être un problème pour elle-même. Elle pèse de tout son poids sur le cours du monde et la pression exercée par ce poids suffit à la contenter et à réjouir en elle les sources de la vie.

La bêtise, engrossée à la hâte, recherche pleine de douleur le nouveau-né qu’on lui a dérobé.

Les disgrâces de la bêtise ne l’empêchent pas de rayonner parmi les sphères les plus influentes de la société.

La bêtise au front de taureau donne de violents coups de corne dans le ciel vide.

Il est étonnant que l’on songe encore à remettre en cause l’intégrité de la bêtise, laquelle, depuis le début de l’histoire humaine, accomplit son office avec une régularité et un savoir-faire remarquables.

Face à la bêtise toute résistance est inutile. On ne peut que s’incliner devant tant d’adresse à enclore dans les étroites limites d’un acte le champ infini du possible.

Bien qu’elle manque de tact et de finesse et que le juste respect des règles élémentaires de la politesse et du savoir-vivre ne soit pas son fort la bêtise n’en laisse pas moins d’instruire les hommes sur la manière dont il convient de se tenir debout face au néant du monde

Tout le jour la bêtise enfante des monstres avec qui elle s’accouple la nuit venue.

Le drame de la bêtise est de ne pas soupçonner combien son existence est un scandale pour les forces de vie avec lesquelles elle prétend vivre en paix et en harmonie.

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A
On peut tous en effet par moment avoir une part de bêtise en nous mais c'est aussi ce qui nous rend plus humain et attachant.