Actualité : Hommage à la petite Hind Rajab

Publié le par Julien Métais

Je m’appelle Hind Rajab. Je suis palestinienne. J’ai six ans. Ce soir, je vais mourir.

Nous sommes en voiture. Nous fuyons la guerre. Nous sommes terrorisés. Des tirs de char israéliens retentissent autour de nous. Nous crions, nous pleurons, nous supplions. Ma mère à l’avant récite des sourates.

Soudain, un tir de char touche notre voiture. Je ne vois plus rien. Il fait nuit. J’ai mal au dos, au pied et à la main. Je tousse, asphyxiée par la fumée. Peu à peu, la fumée se dissipe. J’appelle ma mère, ma sœur, mon père. En proie à une vive panique, je me débats, je hurle, je veux sortir de la voiture. Je touche le bras de ma sœur. Il est raide. Je vois mieux à présent. Ils sont tous morts. Je hurle de douleur.

Non, ce n’est pas possible, ils ne sont pas morts, ils dorment. Je devrais comme eux dormir en attendant qu’on vienne nous chercher. Je ferme les yeux mais je les rouvre aussitôt, tant je souffre. Je suis seule au fond de la nuit. Je me débats en vain. Je suis prise au piège parmi les miens. Quand donc vont-ils se réveiller ? Ce n’est pas drôle de se retrouver seule au centre des combats. J’ai peur du noir, vous m’entendez ? Venez nous sauver ! Envoyez-nous des secours !

Le plus difficile, c’est de rester calme quand les tirs retentissent. Je me bouche les oreilles et je crie. Cela me déchire les oreilles et l’esprit et le cœur. J’appelle ma mère à l’avant. Je lui touche l’épaule. Je retire aussitôt ma main ensanglantée. Elle ne dort pas ma mère, non, elle ne dort pas puisqu’elle est morte et les autres aussi. Je suis l’unique survivante. Je pleure toutes les larmes de mon corps. Je hurle de rage et d’impuissance. J’éclate dans mon corps, j’éclate dans ma tête, j’éclate dans cette carcasse fumante dont je suis captive. Si Dieu existe pourquoi ne vient-il pas me prendre ? Pourquoi m’a-t-il laissé en vie ? Pourquoi fait-il preuve d’une telle cruauté ? Depuis que je suis enfant, je vis avec la guerre mais c’est la première fois que ma famille et moi sommes la cible de cette horreur. La guerre est une abomination. Souvent, mon père me disait, quand je l’interrogeais sur les motivations profondes de la guerre, que les hommes se faisaient la guerre pour ne pas oublier qu’ils avaient été enfants. Moi, je suis une enfant et je n’aime pas la guerre.

En fouillant le sac de ma mère, j’ai trouvé son téléphone portable. J’appelle au secours. Une voix de femme me répond. Je lui explique ce qui s’est passé, que je suis coincée dans la voiture, entourée de cadavres, les membres de ma famille. Elle essaie de me rassurer. Des tirs nourris interrompent la communication puis cela se calme. Je la supplie de faire vite. Il faut me sortir de là. J’ai tellement peur, s’il vous plait, venez me chercher ! La femme me répond que dans une heure les secours seront là. J’entends les chars israéliens qui vont et viennent et n’arrêtent pas de tirer. J’entends également des coups de feu. J’entends la mort. Je me bouche les oreilles, je crie, j’implore.

Quand donc tout cela finira-t-il ? Les secours ne sont toujours pas là. Tu m’avais dit qu’ils seraient là dans une heure. Pourquoi ne sont-ils pas là ? Ils vont arriver, calme-toi. La nuit tombe. J’ai si peur du noir. Je n’ai plus la patience ni le courage d’attendre. Des tirs de mitraillettes se rapprochent. Je crie encore et encore. Je ne réalise pas que je risque de trahir ma présence et que je me mets en grand danger. Je suis une enfant, moi, pas une adulte. Les adultes jouent à la guerre, je refuse de jouer avec eux. La guerre est un jeu avilissant, bestial, révoltant. Mon cœur d’enfant saigne et s’indigne à la pensée de tous ces cadavres amoncelés. Pourquoi ne suis-je pas morte avec ma famille ? En même temps, je ne veux pas mourir, je veux vivre, j’aime tant la vie. Les tirs de mitraillettes s’éloignent.

La dame au téléphone essaie de me rassurer. Elle fait ce qu’elle peut. Elle me dit que les secours vont bientôt arriver et, en attendant, elle me conseille de fermer les yeux et d’imaginer que je suis enveloppée de lumière. Je la vois, cette lumière, mais elle est si loin que je désespère de jamais la rejoindre. La dame me dit que je ne dois pas m’inquiéter, la lumière viendra à moi. Un coup de feu me renvoie dans les ténèbres. Je crie. Quand vont-ils donc venir ? Pourquoi est-ce si long ?

Soudain, j’entends une voiture. La dame m’explique que se sont sûrement les secours qui ont reçu des garanties de l’armée israélienne pour venir me chercher en sécurité. Je perçois le bruit du moteur de l’ambulance. Ils sont encore à quelques mètres de là où je me trouve. Puis une violente détonation déchire l’air du soir. Mes oreilles sifflent, je n’entends plus rien. Une fumée noire m’envahit. Je tousse, je suffoque, j’agonise. Peu à peu la fumée s’éclaircit. J’essaie de rappeler les secours mais personne ne répond. Que se passe-t-il, mon Dieu ? Des voix d’hommes parviennent jusqu’à moi, entrecoupées de tirs de mitraillettes. Les soldats progressent encore. Bientôt, ils seront à ma hauteur. Je me mets les mains sur la bouche. Ils sont là, tout près. J’aperçois leur pied. Je me fais toute petite dans mon trou de souris. Je me blottis. J’aimerais tant disparaître. Les soldats s’arrêtent. Ils échangent quelques mots. Puis ils reviennent sur leurs pas. Au même moment, la sonnerie du portable de ma mère retentit. Ils courent vers la voiture. Ils tuent une seconde fois ma famille puis ils me criblent le corps de balles.

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