L'Enfance

Publié le par Julien Métais

Pour information : l’enfance est traditionnellement conçue comme une période de la vie passée sur laquelle on se retourne plein de nostalgie. Mais si l’enfant que l’on a été s’est bel et bien effacé devant l’adulte, lequel à son tour laissera place au vieillard, l’esprit de l’enfance ne cesse d’œuvrer à travers tous les âges de la vie. Cet esprit est précieux, car il forme la semence du possible, source bienheureuse de toute création et de tout enchantement. Grâce à lui l’homme éprouve en plénitude sa présence au monde et la grandeur de sa relation aux forces d’amour qui le dépassent infiniment.

L’enfance, c’est l’esprit de pauvreté répandu à satiété sur toute la création.

L’enfant qui ne parle pas vit de la grandeur de la parole qui retentit en lui.

De la promesse de l’enfance le possible fait surgir un royaume inachevé.

Les trésors de l’enfance sont enfermés dans le murmure du cœur.

Dans chaque enfant un homme se presse de prendre vie, dans chaque homme un enfant se porte au secours du vieillard qui ne veut pas mourir.

L’enfance est cette part intime de nous-mêmes qui ne cesse de remodeler le visage de notre humanité.

Au royaume de l’enfance toute image se métamorphose en sucre d’orge exigeant sa consommation immédiate.

Les enfants vivent dans un monde en perpétuelle mutation. Du reste ils sont eux-mêmes l’expression de cette mutation, point de suprême mobilité qui enchaîne l’univers à sa course au-delà des certitudes rances au milieu desquelles nous divaguons.

L’enfance qui ouvre la carrière du possible n’abandonne pas l’homme, telle une trajectoire de feu qui illuminerait un instant son chemin puis le plongerait de nouveau dans une obscurité complète. L’enfance attend l’homme à l’autre extrémité de la vie, quand la vieillesse a si bien pris possession de lui qu’il lui devient impossible de se mouvoir librement, chaque acte exigeant de sa part un effort pénible et douloureux. L’enfance accueille cet homme qui souffre et en qui il se reconnaît, il lui porte secours et l’aide à mourir dans la joie du commencement.

La curiosité prodigieuse de l’enfant s’explique par son détachement du langage. Encore libre des réseaux de sens qui tapissent comme un filet mensonger le fond de l’univers, l’enfant évolue librement, court, s’arrête, se questionne, abandonne sa question à l’instant qui lui a donné naissance, reprend sa course. Jamais la fatigue ne l’arrête dans son besoin d’explorer le monde environnant, jamais la lassitude ne le gagne dans son exploration des confins. Il est la vigie merveilleuse que l’adulte doit sacrifier pour se faire une place respectable dans la société.

La solitude de l’enfant est compensée par les grâces surnaturelles qui le font ami de tout ce qui entre et sort de lui comme une flèche de feu insensée.

L’enfant ne peut pas se satisfaire des réponses qu’on apporte à ses questions. Il sait que la question est plus grande que la réponse, il sait que la réponse n’est là que pour justifier la joie du questionnement qui le lance sur les routes du monde, dans sa nudité offerte à l’incendie des confins.

L’avenir réel de l’homme est dans son enfance, seule justification possible de ce qui lui reste à vivre.

La curiosité insatiable de l’enfant épuise le langage, le laisse brisé et sans voix.

L’enfance est une source d’eau claire qui jaillit du cœur du monde et vivifie notre soif des confins.

L’enfance est ce pouvoir merveilleux confié à l’homme tout au long de sa vie de franchir d’un bond le mur de signes qui le sépare de sa destinée.

Sans enfance il n’y a pas de mémoire possible de la grandeur du monde qui vient.

Les peurs nocturnes qui assaillent l’enfant au fond de son lit témoignent du pressentiment confus du pouvoir du langage qui à l’heure de la plus grande vulnérabilité vient hanter de ses armées de signes le front de l’innocence. Cette peur de la mort est comme l’ombre immense du langage qui plane au-dessus du champ du possible.

L’enfance est dans l’espérance la mèche incorruptible qui agrandit le monde.

La sagesse de l’enfance est d’apprendre aux hommes à vivre sans héritage.

L’extrême vulnérabilité de l’enfance repose sur un rocher indestructible.

Le secret de l’enfance est un feu intérieur très doux qui fortifie l’homme dans son amour de la lumière.

Les blessures de l’enfance sont des abîmes au fond desquels luit la lumière qui régénère le monde.

L’homme idéalise son enfance sans s’aviser que la vieillesse au fond de laquelle il glisse insensiblement est un terrain d’exploration merveilleux pour l’enfant qui en lui veut prendre la parole.

Chaque enfant porte en lui comme un secret descellé l’image de sa destinée.

Qu’on ne néglige pas les leçons de l’enfance qui instruit l’homme jusqu’aux portes du tombeau.

L’enfance est la porte étroite par laquelle l’homme doit passer pour accéder le cœur léger à chaque nouvel âge de la vie.

L’enfant vit dans un état d’émerveillement continu. Tout ce qui tombe sous son regard, tout ce qui excite la curiosité de son esprit constamment en éveil se change aussitôt en monde enchanté, propice aux expérimentations les plus diverses. Son besoin même de questionner est renforcé par cet état d’émerveillement qui le conduit aux portes du rêve, là où nulle explication rationnelle ne saurait satisfaire son désir d’enfantement perpétuel.

Tout enfant sécrète du possible à volonté. Il lui suffit d’être pour que le monde perde sa pesanteur et s’élève tel un immense ballon dans le ciel du possible.

Dans le regard des enfants la lumière du monde se rassemble et chemine.

L’ivresse de l’enfant est créatrice, tout ce qui l’occupe ne cesse de croître et de multiplier dans la lumière de l’invisible.

L’enfant vit dans les confins, voilà pourquoi il semble si éloigné du monde des adultes, occupés à faire fructifier la terre aride du devenir.

Le rire clair des enfants éclate dans la tête de Dieu comme une bulle de champagne inachevée.

L’enfance est ce qui en l’absence de tout héritage ne cesse de faire monde.

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