Les Bêtes

Publié le par Julien Métais

Pour information : depuis ma plus tendre enfance, je nourris un vif intérêt pour le monde animal. Elevé dans l’amour des bêtes, sensible à l’innocence heureuse qui émane de tout leur être quand ne vient pas s’y refléter le spectre de l’homme penché sur l’eau trouble de ses origines, c’est avec admiration que je les observe évoluer, dans un silence majestueux, au sein de leur environnement naturel. Si la beauté a un sens, si elle réside quelque part dans cet univers dévasté, c’est bien auprès de nos amies les bêtes que nous ne savons plus aimer.

Il faut beaucoup aimer les bêtes qui nous réconcilient avec la grandeur de l’inarticulé.

Celui qui maltraite les bêtes, qui les humilie et les brutalise, voudrait rompre la chaîne des êtres au bout de laquelle il s’agite dans de grandes convulsions. Pourtant en se comportant comme la plus misérable des créatures, il trahit sa vocation proprement humaine qui est de secourir et de protéger plus faible que soi.

La cruauté que l’homme exerce contre les bêtes est une hache plantée dans la chair du monde.

Le merveilleux dans l’animal, c’est le silence impénétrable qu’il objecte au désœuvrement de nos paroles.

Le silence des bêtes est le filet vivant par où circule et se propage à tout l’univers la vanité de notre héritage.

Celui qui frappe une bête atteint à travers elle le peu d’humanité qui sommeille en lui.

Alors que l’animal jouit paisiblement de son innocence, l’homme, dans un fracas de paroles, abîme tout ce qui l’entoure pour ne pas se sentir honteux devant la laideur de l’image qui le fuit.

L’homme est un animal violent, l’animal est un homme en devenir.

Les animaux, dotés par la nature d’une sagesse instinctive, sentent intensément la vanité de la couronne dont se ceint leur maître.

L’homme récompense bien mal la fidélité du chien. Il l’étouffe sous les caresses et en fait un être chétif et malhabile, qui ne sait plus vivre que dans un état de dépendance et de soumission intolérable.

L’animal, mieux que l’homme, sait se réjouir d’être vivant.

Il faut sauver les bêtes du désarroi où nous plonge la perception de leur innocence.

La sagesse des bêtes est de ne pas exiger de l’homme plus qu’il ne peut donner.

Dans les yeux des chiens passe comme un voile sidérant un peu de la lumière du monde que nous avons perdu.

Il y a une sagesse des bêtes qui vivent dans l’inarticulé et qui opposent au bourdonnement continu de la parole un silence solaire s’étendant jusque dans l’invisible.

Le regard des bêtes n’est voilé d’aucun sombre présage, le signe n’est pas encore venu obscurcir leur disposition native à jouir silencieusement de la grandeur du monde qui les habite. Car, à la différence de l’homme, l’animal n’habite pas le monde, il est par lui habité, jusqu’à en former un point d’expression mobile suprêmement vivant.

Il faut aimer les bêtes sans qui le monde serait atrocement vide. Elles sont les expressions vivantes et colorées de l’inépuisable richesse du possible.

Que l’homme serait malheureux sans la compagnie des bêtes qui constellent le toit de la pensée de mille picotements bénis.

De même que la pensée n’est pas un acte solitaire, puisqu’elle s’inscrit dans un carrefour mouvant d’idées tissées tout au long des siècles et dont elle hérite à chaque instant, elle enveloppe dans son acte toute la création, et en premier lieu les bêtes, ces amis de longtemps qui poursuivent dans l’ordre immuable de la nature leur métamorphose incessante. Dans l’acte de penser la création vient se recueillir à la pointe du cœur pour y puiser la force nouvelle de son expansion dans l’inachevé.

Il faut aimer les bêtes car nous sommes bêtes à demi, en sorte que ce qui fait notre humanité ne serait rien sans cette part animale, plus ancienne que la pensée, et qui vient s’y réfléchir et l’éclairer subitement.

Les bêtes ont moins peur que les hommes parce qu’elles ne sont pas soumise à la dramaturgie du cœur.

Les bêtes ne vivront en harmonie avec les hommes que lorsque ceux-ci cesseront de les manger sans appétit.

Tous les animaux qui peuplent la création circulent dans le sang humain où ils puisent la force de poursuivre leur métamorphose.

Au fond, on écrit pour lâcher son humanité et ramper dans l’invisible. On écrit pour brûler son humanité au feu sacré du devenir animal qui constitue notre ressource la plus authentique.

Les bêtes sont pleines de compassion envers les hommes qui ne savent pas mourir.

Les bêtes n’ont pas besoin de se faire violence pour habiter l’espace introuvable du possible, elles y sont plongées de toute éternité et y jouissent d’une vie parfaite et sans défaut.

L’homme a la garde de l’animal qui veille sur lui depuis la profondeur inaltérable de son silence.

Le sort réservé aux animaux dans l’élevage et l’abatage industriel fait honte au devenir animal dont nous sommes les perpétuels héritiers.

On étourdit les animaux avant de les égorger de même qu’on instruit les hommes avant de les livrer à l’asphyxie du songe.

La brute épaisse quand elle saisit le cou du poulet frémissant pour le tordre et le broyer entre ses mains noueuses, souille le principe de vie dont elle se croit l’expression glorieuse.

Quiconque tue un animal par plaisir, par paresse ou par distraction porte atteinte à la distribution des forces de vie qui structurent l’univers. Ce faisant, c’est sa place dans l’univers qui se trouve remise en cause.

Si l’univers est un immense abattoir, le cœur de l’homme est un bouge où il ne fait pas bon s’attarder.

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